CARNETS LIBRES (18+)

Salle commune, je viens visiter mon ami à l’hôpital psychiatrique. Il y a ce couple, cette entité, ils sont soudés l’un à l’autre. Je suis présenté. On me met dans le coup : il y a une révolution qui se prépare ici. On va prendre le contrôle des psys. Ce sont eux les malades, ils nous gèlent, ils veulent qu’on se conforme. Ça s’en vient, la révolution s’en vient. Mon ami ne se peut plus, ses yeux brillent et son sourire est radieux. Tu es avec nous Dan?

Serge n'était pas vraiment un ami, il nous collait un peu, il était voleur de bicyclettes. Un soir au parc, il nous a confié qu'il voyait de plus en plus les femmes nues. Toutes nues? Oui sur la rue, au centre d'achat, n'importe où.  Il avait l'air plus paniqué qu'autre chose. Pauvre Serge, il était tellement laid.

-Excusez-moi monsieur mais vous devez  tenir votre chien en laisse dans la ruelle. - Yé pas méchant. -C’est un Pitbull monsieur et il y a des enfants qui jouent dans la ruelle. -Yé fin, y’aime les enfants. -Monsieur si vous n’attachez pas votre chien je vais appeler la police. -Attache toi donc toi-même! La police :  est-ce que le chien a mordu quelqu’un ? Est-ce qu’il charge la clôture? -Non, rien de tout ça, mais on parle d’un Pitbull. -Il n’y a pas de règlement contre les Pitbulls. Mais il devrait être en laisse. -Les Chihuahuas aussi ? -Oui.

Job d’été; confusion, on a été reconduits un ami et moi dans le camp de jeunes une semaine trop tôt. C’est désert. Les journées sont interminables, on tourne en rond comme des caves à chercher des champignons hallucinogènes dans la forêt.  Puis on se met à vivre la nuit et écoeurés, on finit par se pousser. Fuck it! Au petit matin, sur le chemin de terre un camion de bois nous a pris pour nous laisser plusieurs miles plus loin sur une route qui menait à l’autoroute. C’est là que Bruce nous a fait monter dans sa belle auto neuve, décapotable. Un jeune, un chromé assez sympathique en amour avec son véhicule. Quelle tenue de route, quelle puissance! Il lâchait le volant et laissait le bolide foncer vers sa destinée. Hey regardez ça les gars!  

Nous nous étions perdus dans la pinède. J’étais au chalet d’un ami et  on était parti explorer les environs. Au bout de la pinède il y avait une maison et un homme s’affairait sur son terrain. On avait soif, il nous a donné un verre d’eau. Puis, il nous a indiqué la direction à prendre pour rejoindre le chemin et on s’est remis en marche à travers les rangées de pins. Ses cris nous ont ameutés, il s’en venait en courant vers nous comme un maniaque. On a détalé comme des fous. S’il voulait nous faire peur ç’était tout à fait réussi. Encore aujourd’hui, je ne peux pas voir une pinède sans avoir un  malaise.

Ah l’enfance!  Jeux, liberté, amis pour la vie. Mais Robert n’aimait pas beaucoup l’autre Robert. L'autre Robert avait tendance à coller. Je revois encore Robert  invitant Robert à retourner chez lui. Allez Robert, fais pas le fou, décolle ! C’est ce que je me répétais, mal à l’aise.

Elle disjonctait et s’excusait auprès de son bébé. Elle pleurait,  coincée avec la poussette dans  la tempête de neige.  Elle parlait à son enfant comme si elle n’en revenait pas de les avoir mis dans cette situation, perdus et étourdis par les rafales. Je me suis approché et lui ai suggéré de tirer la poussette au lieu de tenter de la pousser. Ç’a marché. Elle  a pu continuer son chemin en disant à son bébé que tout allait bien maintenant. J’étais assez content d’avoir été utile.

J’aimais ça manger chez Lise, c’était une amie de ma mère et un de ses fils était mon ami, on était dans la même classe. Mais parfois Lise devenait, comment dire, pas drôle, pas serviable, pas de dessert, des consignes niaiseuses, ne pas la déranger, ne pas jouer en dedans parce qu’elle faisait des siestes. En plus on ne voyait jamais Jean- Paul, son mari. Une mère bizarre, bien plus que la mienne. Elle a même disparu pendant des mois. À l’hôpital et elle était même pas malade, pas une vraie maladie. Elle a dormi tout ce temps-là y paraît. Mais elle me trouvait futé et j’aimais ça.

Je sors de prison, veux-tu m’aider? Parce que là, câlice, j’suis pas mal écoeuré d’essayer de vendre des bébelles. Si toi t’en prend pas, je retourne à mon ancienne job, fuck la réinsertion. Qu’est-ce que tu veux? Un tournevis à lunette ou un porte-clé? Je n’ai jamais aimé la vente sous pression, mais bon, il était touchant et je suis de gauche.

Été! Je vais au marché Jean Talon, le cœur léger. De l’autre côté de la rue, je vois cette jeune femme paniquée dans un escalier. Elle va être écrasée par un frigo. Qu’est ce qu’elle a fait?  En courant vers elle j’halucine, elle tentait vraiment de le descendre seule! Je monte l’escalier quatre à quatre et je bascule l’appareil sur le balcon. Tu vas te tuer! Elle me répond qu’elle doit déménager aujourd’hui. -Appelle  des amis, de la famille, fais-toi aider. -Oui je vais faire ça. -Promis, tu fais ça? On aurait dit que demander de l’aide lui était plus difficile que descendre un frigo seule.

Mon père avait trois voisins quand il avait sa maison dans un rang près de Drummond. Le premier avait vu sa grange incendiée par son fils adoptif, le deuxième terrorisait sa femme et le troisième venait de perdre son garçon et un cousin dans un face à face du samedi soir. Dans ce dernier cas, j’avais tout d’abord compris que le fils et le cousin s’étaient rentrés dedans. Et non, on parlait ici de deux accidents  distincts. Ça aurait été un peu fou quand même!  Et puis on buvait notre petite bière tiède dans la cuisine éclairée au néon, le silence interrompu par le grésillement des insectes pulvérisés par la lampe de la galerie de chez Lucien.

Enfance, jeux, imagination. Mes amis et moi on jouait à rouler sur les trottoirs à bicyclette et à renverser les poubelles d’un coup de pied adroit. Que c’était drôle ! On hurlait de plaisir. Et là, un bonhomme qui taillait sa haie a surgi. Il m’a immobilisé et forcé à ramasser ses vidanges.  Après, en me sauvant de lui, je l’ai envoyé jouer avec son organe reproducteur. Et bien, il m’a menacé de mort !

Mon ami s’est sauvé de l’hôpital. Il est de retour chez nous, 6 e jour où je garde la maison, mes frères et lui. Lise, une amie de ma mère, lui avait arrangé un rendez-vous en psychiatrie. Mon ami avait confiance en elle. Lise m’appelle pour me dire qu’il a fracassé une vitre grillagée à l’hôpital et que maintenant il peut être dangereux. Défilé d’intervenants à la maison, puis il est emmené de force. Il  menace. À 11:50 tout va être détruit!  Je le suis déjà.

Une vieille femme monte dans l’autobus. Elle est menue, l’air  aimable. Elle demande l’heure à deux adolescentes qui aussitôt l’insultent et l’envoient promener. Je suis soufflé devant tant de brusquerie.  La dame ne s’en fait pas, elle demande l’heure à un autre passager qui est bien content, lui, de l’accommoder. Elle s’assoit à ses cotés et se met à délirer sur l’espace-temps. Le passager est pris au piège. Les filles descendent hilares : Lâche pas Rolande!  Elles la connaissaient depuis des années.

  J’attends mon groupe d’élèves de première année pour une animation. Il entre, mené par une marâtre. Elle donne ses ordres, ils obéissent, ils la connaissent. Je ne peux pas commencer mon animation car elle  donne  un crash course sur le respect que le groupe me doit. Ça n'en finit plus, quelques enfants s’agitent, ils y goûtent. J’ interromps l’ agent correctionnel  et commence mon animation, je la prolonge, je  donne aux petits toute la gentillesse dont je suis capable. Puis c’est terminé, je les abandonne à leur sort.

Je n’en croyais pas mes oreilles. Cette femme nous recevait dans son condo du centre ville après une tournée d’auteurs. Amie des bêtes, elle nous a raconté sa relation avec un pigeon blessé qui était venu se poser sur son balcon. Leurs échanges de regards, l’ultime au revoir avant son envol une foi guéri,la réalité de leurs sentiments réciproques. Il disparut dans la fin du jour après avoir fait des figures pour elle devant son balcon du 20 e étage. On trouva ça extraordinaire. Je trouvai ma vie banale.

De 25 à 35 ans, décade de dérapages. Ce matin-là sous zéro,  j’étais sur le gros nerfs, en retard dans tout et parti reconduire les enfants à la garderie.  Bazou avec chaufrette défectueuse, j’y vois à peine, ça ne m’arrête pas. Je laisse les enfants, je repars, erratique. Un chauffeur m’évite et, à ma hauteur, baisse sa fenêtre et me dit : Lot of guts but no brain!