CARNETS LIBRES (18+)

  Écoutez, je suis venu de Montréal pour entendre le vent dans les feuilles, le bruit des vagues et le chant des oiseaux. SVP éteignez votre musique. C’étaient des jeunes de la place qui avaient leurs habitudes, malgré la pancarte de l’entrée du camping : Lac Ha Ha, musique interdite en tout temps . On a eu la paix, mais cette nuit-là je n’ai dormi que d’un œil.

Mon ami, grand séducteur, a passé une nuit blanche avec ce qui ne devait être qu’un bon moment : une voisine du camping. Elle lui avait dit qu’il était sa dernière baise à vie, puisqu’elle pensait mettre fin à ses jours à son retour en ville. Histoire sans lendemain donc.

Ah les chiens-chiens! On partageait le même territoire quand on se promenait au parc en famille. On avait oublié la laisse de  notre fils, mal nous en pris. Plus de peur que de mal et je l’avoue, le chien n’a pas mordu.

M. Chose était un prof du secondaire qui  aimait partager avec nous  son expérience et ses réflexions sur la sexualité.  Il se posait en exemple de l’homme qui sait rendre une femme heureuse, la faire chanter dans la maison, satisfaite. Et que dire de ses théories délirantes sur l’homosexualité? Il  y était question  de la morphologie type de la tapette et celle M. Chose, oh surprise, en était l’exacte opposée.  La meute rugissait de plaisir, zéro fifs ici bien sûr. 

  Je gardais  la maison et mes jeunes frères pendant l’absence de mes parents. Ça faisait une semaine que mon ami, réfugié chez nous, pétait une sévère crise. À bout de nerfs, je l’avais enfin convaincu d’aller consulter. En vue de l’hôpital, il a voulu négocier une promenade  sur les glaces de la rivière. J’ai failli lui arracher la tête et on est revenu à la maison, case départ.

Hélène habitait un quartier un peu, beaucoup rock’n roll. Je venais juste de la rencontrer. Un matin en sortant de chez elle, on doit enjamber un robineux. Il reconnaît Hélène, son visage s’illumine. C’est elle, c’est la belle, l'ange de tous les matins! Puis il s’adresse à moi : fais-y attention maudit pas bon!  J’ai suivi son conseil. Merci monsieur le pasteur.

Il y avait deux vieilles femmes qui vivaient dans une cabane de planches sous un grand saule, au bord du ruisseau. De semaines en semaines, le paysage autour était bulldozé. Les rangées de bungalows se rapprochaient. Un jour, la cabane disparut. Puis le ruisseau fut enfoui dans une canalisation et devint un égout, ce qui confirma ce qu'était déjà ce filet d'eau à ciel ouvert.

  Je fais la file à la caisse d’un  supermarché bondé. Du monde derrière, du monde devant. Tout à coup   quelqu’un gueule à plein poumons. Une femme enragée vient d’entrer. Les gens détournent le regard, évitent le contact visuel. J’ose un œil, elle me vrille du regard.  Elle s’adresse à moi, elle déverse sa haine cosmique  sur moi!  Je paye, la tête basse. ¨You stupid fuckin no good bastard!¨Sur le trottoir, je l’entendais encore. Ce jour-là je me suis dit que l’expression crisse de folle avait été inventée pour elle.

 Elle avait passé des mois à l’hôpital suite au dernier d’une longue série d’accidents d’auto. Elle était mon accompagnatrice pour la semaine lors d’une tournée d’auteur à l’autre bout du pays. On passait la journée sur la route et j’avais depuis longtemps cessé de lui poser des questions.

J’étais venu, seul, le visiter dans la ville où il avait déménagé depuis quelques mois. Mon ami n’était plus le même. Il me traînait, taciturne, dans un centre ville désert sous un crachin d’automne. Il a fait deux trois endroits en me disant à chaque fois de l’attendre à l’extérieur. Ça me paraissait interminable. Le lendemain, je reprenais le car. Je ne l’ai plus revu. Deux ans plus tard ma mère m’annonçait qu’il venait de se suicider. Il avait 16 ans, héroïnomane.

Ce qui me ramenait à la réalité c'était le gars de l'hydro dans le poteau qui s'apprêtait à  me couper le courant. Ça m'aurait privé d' énergie.

Thérèse était la secrétaire de mon père. -Bonjour Thérèse vous avez passée une bonne fin de semaine?   -Bien heu, on a trouvé mon neveu pendu dans le garde-robe. -Pauvre vous, c’est terrible! -Bah, vous savez, on était persuadés qu’il allait finir par tous nous tuer.

Il nous avait pris sur le pouce à Québec. Il allait voir son avocat à Longueuil et voulait que son char soit plus lourd pour aller plus vite, il était déjà en retard. Son petit garçon, à ses côtés, lui décapsulait ses bouteilles de bière. Le petit s’est amusé à se mettre un sac de plastique sur la tête, le papa était hilare. Jusqu’à ce qu’il le gifle : Arrête ça câlice tu peux t’étouffer! On a passé Beloeil et le monsieur a tiqué. Longueuil, Beloeil? Tabarnac c’est où ? Il sort de l’autoroute et nous débarque en plein champ. La nuit a été longue.

 You don’t want to know. C’est souvent sa réponse   quand je   lui demande comment elle va. C’est une collègue que j’aime bien alors j’insiste. Elle   est convaincue d’être    responsable de la mort de sa mère avec qui elle habitait. My poor mother, elle a déboulé l’escalier parce que j’avais déplacé le sac d’ordures et qu’elle ne l’a pas vu. Inconsolable. Sauf pendant les quelques semaines avec un amoureux qui l’a quittée après qu’il eut dépensé l’argent de l’héritage. You don’t want to know.

 Il s'était réfugié chez nous. Je gardais la maison et mes frères pendant que mes parents étaient partis pour la semaine. Il ne dormait pas, restait dans la cave, se couvrait de gouache rouge. Mes frères étaient inquiets.  J'en parlai à un ami commun qui trouva  que je m'en faisais pour rien, qu'une bonne écoute des chums feraient l'affaire. Ok, good, je  lui demandai de l'héberger à son tour, d'autant plus qu'il avait son propre logement. Au milieu de la nuit, l'ami à la grande écoute m'appelle. ¨Il vient de partir pour chez toi, la fournaise lui parle! ¨ Puis, ç'a été de pire en pire...

Elle avait jugé que sa médication n'était plus nécessaire.  Pour les vacances elle avait donc loué une prestigieuse résidence sur un lac très en vue des Cantons de l'est. Elle en profita seule et  nous savions que ses revenus étaient tout sauf prestigieux.

 L'ami de mon frère était unique en son genre. Enfant fou, insensible aux coups, pouvant mordre si attaqué. Quand mon frère revenait de jouer avec lui, on entendait parfois la sirène des pompiers.

Un oncle. Collectionneur d'armes qui ce jour là était tout fier de me montrer un Browning. Lourd, brillant avec une crosse nacrée. Il avait aussi jugé que deux trois verres de Cointreau ne pouvaient me faire de tort. Un goût de bonbon. Un homme responsable, en bas de 10 ans il ne m'aurait pas servi d'alcool. Je le trouvais drôle, ma mère pas beaucoup.

Ma mère avait invité une  collègue esseulée à un souper du temps des fêtes,à la maison. Pendant le repas, elle s'est mise à tenir des propos acerbes et méprisants envers ma grand mère paternelle.Un monologue venu de nulle part. Mes grands parents ont fini par se lever de table et partir. On n'a plus jamais revu la collègue. Quelques années plus tard elle s'est suicidée.

Jeune vingtaine, grande amie de mon amie d'alors. Ici dans un des ses bons jours, sinon elle était incapable de sortir de chez elle. Brillante, cultivée, schizophrène.  Je la trouvais tragédienne, compliquée, je sais maintenant que sa vie était un abîme. 

J'avais eu la permission de visiter la nouvelle aile des psychotiques à Prévost, pour le projet Rose avec Élise. Ce jeune homme est venu vers moi et a été enthousiasmé par notre idée. Je lui ai donné un recueil d'Élise et il s'est mis à réciter un poème. Il était d'une beauté et d'une fragilité rare, un  personnage de Zefirelli. Il s'exaltait et quelqu'un est venu le chercher avec douceur.

Je le connais depuis qu'il est enfant, c'est le frère d'un ami. Quand il rentre à Prévost lors d'une de ses crises récurrentes il me donne un coup de fil. Il m'a adopté. Je lui demande à chaque fois quel évènement l'a fait hospitaliser. En voici un: il prend sa douche à Claude Robillard après sa baignade. Musique ambiante de Madonna, il hallucine que les paroles s'adressent à lui, il s'excite et cours à poil sauter dans la piscine au milieu du cours de nage synchronisée des petites filles. C'est un mastodonte.

Il tournait sur lui même. Tout le monde le regardait, il était en pyjama, au milieu du terrain glacé. Je me suis approché de lui, lui ai pris le bras en lui parlant doucement et l'ai ramené à l'hôpital  Queen Mary pas loin. Le gardien l'a reconnu et m'a dit en souriant: Il était en train de faire des free games? Il faisait vraiment froid